Entre la définition d'une raison d'être et la possibilité d'embrasser le statut d'entreprise à mission, le projet de loi Pacte veut inciter PME et grands groupes à repenser leur place dans la société. Une transformation qui passe par l'adhésion des parties prenantes – salariés, fournisseurs et clients – et l'adoption d'un modèle économique plus inclusif et transparent, garant de leur pérennité.
« L'unique responsabilité sociale de l'entreprise
est d'accroître ses profits », assénait Milton Friedman en 1970. Cette
charge publiée dans The New York Timesrésume bien le mépris dans lequel nombre d'entreprises tenaient alors le
concept de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Quarante ans plus
tard, les propos de celui qui deviendra prix Nobel d'économie en 1976 ont
terriblement vieilli. Et les grandes entreprises qui ne publient pas un rapport
sur leur impact RSE se comptent sur les doigts de la main. Il faut dire que les choses ont bien
changé au début des années 2000, à mesure que les collaborateurs en quête de
sens et les partisans d'une consommation plus responsable sont devenus plus
audibles, sur fond de dérèglement climatique, biodiversité en péril et crises
économiques à répétition. « Des
citoyens qui prennent conscience de l'échec des États et de leur vingtaine de
COP sur la question », assure le patron de la Camif, Emery Jacquillat.
Pour sortir de l'impasse, ce serait donc aux entreprises d'entrer en action. Et
ce serait un retour aux sources pour certaines. « Une entreprise n'est pas seulement engagée sur un marché
financier, elle est aussi, et de plus en plus, en société », comme le
rappelle Hélène Valade, directrice du développement durable de Suez.
« L'entreprise
est l'institution cardinale du capitalisme. C'est par elle que passe
l'émancipation du plus grand nombre », assène l'économiste Virgile
Chassagnon, auteur de l'essai « Économie de la firme-monde - Pouvoir,
régime de gouvernement et régulation ». Deux visions s'opposent
historiquement sur le sujet. « Le
modèle français, qui intègre les parties prenantes – les stakeholders –, et le modèle anglo-saxon, qui privilégie
les actionnaires – les shareholders », résume la présidente de l'Institut français des administrateurs
(IFA), Agnès Touraine. En France, le président De Gaulle appelait déjà à un
meilleur partage des valeurs sous les Trente Glorieuses. « Il martelait alors aux entreprises de ne pas se focaliser sur le
seul bien-être de leurs investisseurs », se souvient l'économiste
Hugues Poissonnier. Depuis lors, le débat n'a eu de cesse d'animer la vie
politique. « Sans toutefois qu'on le
traite avec beaucoup d'ambition », constate Hugues Poissonnier.
« L'entreprise est l'institution cardinale du capitalisme. C'est par elle que passe l'émancipation du plus grand nombre. »Virgile Chassagnon, économiste
L'entreprise à mission : lucrative et responsable
C'est désormais chose faite avec le projet de loi Pacte, dont l'article 61 prévoit de modifier le Code civil pour
permettre à celles qui le veulent d'écrire noir sur blanc que leur objet social
ne se limite plus à la réalisation de profits. Cet article, rejeté par le Sénat
mi-février, a été rétabli à la faveur d'un nouveau passage devant
l'Assemblée nationale, samedi 16 mars. Il propose aux entreprises d'intégrer une raison d'être
en lien avec leur activité ou d'embrasser le statut « d'entreprise à
mission » comme l'a fait la Camif. « Ce
nouveau régime doit permettre aux entreprises d'associer recherche de
performance économique et intérêt collectif », résume Emery
Jacquillat. Elles sont de plus en plus nombreuses à s'y intéresser, en témoigne
la quarantaine d'entreprises qui suivent le groupe de travail lancé par
l'Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) et leCollège des directeurs du développement durable (C3D) sur le sujet. « Nous voulons les accompagner dans
cette transition vers un modèle d'affaires plus inclusif et ouvert, garant de
leur pérennité », explique le président du C3D, Fabrice Bonnifet.
« Le statut d'entreprise à mission permet d'associer recherche de performance économique et intérêt collectif. » Emery Jacquillat, PDG de la Camif
Dans l'univers des entreprises cotées,
seul le géant de l'enseignement Laureate Education a franchi le pas, en
devenant une public benefit corporation,
statut américain qui a inspiré la réflexion autour de l'entreprise à mission.
En France, Danone regarde de près cette possibilité et ambitionne, en attendant,
d'obtenir la certification B Corp pour l'ensemble de son activité. Huit de
ses filiales ont déjà reçu ce label américain accordé aux entreprises qui « ne
cherchent pas à être les meilleures du monde, mais à être les meilleures pour
le monde ». Une cinquantaine
d'entreprises françaises ont répondu aux exigences d'un questionnaire qui
passe au crible leurs performances sociales, environnementales et sociétales.
La Camif est de celles-ci. Et c'est avant tout, à en croire Emery Jacquillat,
un levier de compétitivité. « Dans
l'environnement hyperconcurrentiel qui est le nôtre, nous ne serions sans doute
plus là si nous n'avions pas fait ces choix radicaux. » Le lancement
de Camif Edition, structure qui
invite les designers à co-créer du mobilier durable, permet en effet à
l'entreprise de se démarquer dans un marché cannibalisé par Google et Amazon. « Je pense que les entreprises qui
s'ouvriront à leurs parties prenantes vont vite découvrir des intérêts cachés,
entre la fidélisation des clients, le regain d'innovation avec les fournisseurs
ou la coopétition avec les concurrents », abonde Hugues Poissonnier.
Les parties prenantes, vecteur de transformation
La RSE est désormais abordée par 63 %
des conseils d'administration du CAC 40, comme le souligne le Panorama de la
gouvernance 2018 d'EY. « C'est
aujourd'hui une composante importante de la gouvernance, qui permet d'imprégner
la stratégie d'entreprise dans la durée », analyse Agnès Touraine.
Confiance, transparence et compétence sont, selon la patronne de l'IFA, les
trois piliers d'une gouvernance qui s'ouvre de plus en plus aux collaborateurs.
La Loi Pacte veut d'ailleurs imposer aux entreprises dotées d'un conseil
d'administration de plus de huit membres d'en nommer au moins deux parmi les
salariés. « Cette présence évite à l'entreprise d'être une entité
hors-sol, déconnectée de la réalité, s'ils sont bien formés », estime
Agnès Touraine. Autre exemple d'ouverture prisée par les entreprises : le « shadow
comex », ce bureau, composé de jeunes collaborateurs, dont Fabrice
Bonnifet, également directeur du développement durable de Bouygues, vante les
vertus. « Chez Bouygues Immobilier,
les propositions formulées par ce comité alternatif sont remontées au comité
exécutif pour éviter de prendre des décisions qui ne seront pas comprises par
certaines parties prenantes. »
« La présence d'administrateurs salariés évite à l'entreprise d'être une entité hors-sol, déconnectée de la réalité. » Agnès Touraine, présidente de l'Institut français des administrateurs (IFA)
Les entreprises auront besoin de l'aide de
tous leurs partenaires dans cette transition vers une économie plus positive et
inclusive, qui réconcilie travail et capital. Exemple chez Suez, qui est devenu
producteur de matières premières secondaires et d'énergie renouvelable dans une
démarche d'économie circulaire. « Il
s'agit de faire en sorte que les déchets des uns deviennent les ressources des
autres, en construisant des partenariats avec les PME et les entrepreneurs »,
résume Hélène Valade. En incitant les entreprises à se doter d'une raison
d'être, la loi Pacte veut démocratiser ce genre d'initiatives. « L'entreprise qui se dote d'une raison
d'être affiche ses intentions. Afficher, c'est déjà s'engager »,remarque Virgile Chassagnon. L'opinion publique et les parties prenantes se
chargeront de jouer les garde-fous auprès de celles qui manqueront de sincérité.
C'est particulièrement vrai pour les entreprises à mission, un statut qui
impose la naissance d'un organe de suivi où les collaborateurs doivent être
représentés. Et les entreprises qui seront
tentées de s'adonner au « mission
washing » pour faire joli, en choisissant
une mission déconnectée de leur réalité économique, feront long feu, à en
croire Fabrice Bonnifet. « Les
enjeux d'image sont beaucoup trop forts pour
que les entreprises ne s'ouvrent pas de manière transparente
aux parties prenantes. »
Virgile
Chassagnon, qui dit être fréquemment contacté par des dirigeants du CAC 40
pour évoquer les conséquences de la loi Pacte, est sur ce point plutôt
optimiste. « Il y a une vraie prise
de conscience. Regardez l'évolution des baselines des grandes
entreprises, comme Michelin qui se positionne sur
la mobilité
durable ou Veolia qui veut ressourcer le monde. Ou encore le dispositif lancé par Vinci pour se
restructurer autour de l'actionnariat salarié dès 1995. »La plupart des dirigeants ont aujourd'hui
compris que l'entreprise doit être drivée par une
meilleure coopération entre le travail et le capital. En clair,
que la définition d'un objectif collectif partagé et
vertueux a une influence sur la performance de la société. « C'est tout de même plus simple quand le
salarié y croit », conclut Virgile Chassagnon.
Loi Pacte : les 3 mesures qui vont récompenser le travail des salariés
1. Suppression du forfait social
1. Suppression du forfait social
La suppression du forfait social va faciliter le développement d'accords d'intéressement au sein des entreprises de moins de 250 salariés. Objectif : permettre aux PME d'arriver à des accords « clés en main ».
La suppression du forfait social va faciliter le développement d'accords d'intéressement au sein des entreprises de moins de 250 salariés. Objectif : permettre aux PME d'arriver à des accords « clés en main ».
2. Développer l'actionnariat salarié dans les entreprises à participation publique
2. Développer l'actionnariat salarié dans les entreprises à participation publique
Pour booster l'actionnariat salarié dans les entreprises à participation publique, la loi impose à l'État de proposer une partie de la participation qu'il prévoit de céder aux salariés. Le principe d’un rabais pris en charge par l’État sera introduit dans le cadre des privatisations.
Pour booster l'actionnariat salarié dans les entreprises à participation publique, la loi impose à l'État de proposer une partie de la participation qu'il prévoit de céder aux salariés. Le principe d’un rabais pris en charge par l’État sera introduit dans le cadre des privatisations.
3. Encourager l'actionnariat salarié dans les entreprises privées
3. Encourager l'actionnariat salarié dans les entreprises privées
Les conditions d'offres d'actions aux salariés dans les SAS sont assouplies. Plus besoin d'exiger un ticket minimal de 100 000 euros ou de circonscrire le dispositif à un maximum de 149 salariés.
Les conditions d'offres d'actions aux salariés dans les SAS sont assouplies. Plus besoin d'exiger un ticket minimal de 100 000 euros ou de circonscrire le dispositif à un maximum de 149 salariés.
Pourquoi s’interroger sur la contribution de l’entreprise à la société est essentiel ?
Éric Fourel
Président EY France
Définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 11 avril, la loi Pacte fait entrer la responsabilité sociétale au coeur de l'objet des entreprises. Non seulement le Code Civil est modifié pour enjoindre officiellement aux sociétés de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité, mais elles ont dorénavant aussi l'option de préciser une raison d'être et d'y affecter des moyens ; voire de devenir une société à mission en répondant à des obligations supplémentaires envers les parties prenantes. Une évolution que l'on pourrait qualifier d'historique – les articles visés datent du code civil de
1804 – tant la perception de la place de l'entreprise dans la société a changé
depuis l'ère napoléonienne. Portée dans le débat public par le rapport Sénart/Notat,
mais en germe dans la société française depuis de nombreuses années, cette modification législative reflète l'attente grandissante des Français envers les
entreprises, alors que parallèlement la confiance dans les institutions
publiques s'effrite. Solutions au défi climatique, développement territorial,
égalité homme/femme, les entreprises sont de plus en plus jugées responsables
du bien commun.
S'il est difficile aujourd'hui de prévoir toutes les conséquences qui seront engendrées à terme par cette évolution, la question de
la contribution des entreprises à la Société est désormais sur la table et devrait
être mise à l'ordre du jour d'un nombre grandissant de conseils
d'administration. C'est a priori plutôt une excellente nouvelle, car avoir une vision claire de
sa raison d'être produit des effets bénéfiques pour l'entreprise :
augmentation de l'engagement des employés, cohérence des actions menées,
rassemblement du management, des collaborateurs et des parties prenantes autour
d'un objectif commun... Autant de facteurs qui peuvent stimuler la rentabilité à long
terme et favoriser la reconnaissance par le plus grand nombre des bienfaits de l'action entrepreneuriale . Toutefois, il ne faut pas non plus occulter les dérives possibles : judiciarisation accrue autour des actions d'entreprise, porosité entre action philanthropique et performance économique contribuant à brouiller davantage encore les cadres d'évaluation et de contrôle. Mais qu'il soit adopté par voie parlementaire ou par le marché, l'engagement
sociétal de l'entreprise est en passe de devenir un incontournable des conseils
de gouvernance, alors pourquoi ne pas accélérer cette réflexion dès maintenant ?
Une
entreprise qui limite la mesure de sa performance à celle de son Ebitda et de son
cours en Bourse n'est plus audible des analystes et du consommateur. Sa responsabilité ne se limite pas au bien-être de ses
actionnaires, elle s'étend désormais à des dimensions environnementales, éthiques
et sociales. Pour s'inscrire dans ce nouveau paradigme, les entreprises doivent
repenser leur mode de gouvernance et accueillir des administrateurs salariés ou
émanant de la société civile, voire des conseils des parties prenantes.
Des
profils qui apporteront un regard différent et pourront mettre en perspective cette
responsabilité élargie de l'entreprise. Il faut par ailleurs s'assurer que le
management en place ne sacrifie pas le long terme au court terme et qu'il
réussit à concilier ROI et vision. Pour l'actionnaire, c'est forcément
sacrifier un peu de la rentabilité de l'entreprise à court terme. Pour les
dirigeants, c'est coordonner leur action avec celles des pouvoirs publics et des
pôles de compétitivité environnants pour ancrer leur développement dans le
territoire.
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