Essor du véhicule électrique, digitalisation du parcours d'achat, émergence de nouvelles formes de mobilité... L'industrie automobile fait face à une multitude de défis comme jamais par le passé. Tous les acteurs de la filière sont concernés, les constructeurs, les équipementiers comme les concessionnaires.
« L'industrie
automobile changera plus dans les cinq à dix années à venir qu'elle ne l'a fait
depuis un demi-siècle. » Cette phrase,
prononcée à Davos par Mary Barra, patronne de General Motors, en dit long sur
les transformations qui s'emparent de la filière. Des constructeurs et des
équipementiers joueront certainement leur avenir dans les prochaines années sur
leur capacité à prendre le virage du véhicule électrique, de la conduite
autonome et des nouveaux services de mobilité.
Parmi toutes les révolutions en cours, l'une des plus importantes porte sur les
changements de motorisation, car elle touche directement à l'outil industriel.
En France, pays fortement « diéselisé », les ventes de diesel sont passées,
l'an dernier, sous la barre des 50 %, en dépit du maintien des incitations
fiscales en faveur des flottes d'entreprise. Tout un symbole ! Le
« dieselgate », la pression réglementaire ainsi que la volonté des
métropoles de fermer leur centre-ville aux véhicules les plus polluants accélèrent
le désamour des Français pour le diesel. Dans un premier temps, le basculement profitera aux moteurs à essence.
« Les constructeurs adaptent bon gré
mal gré leur outil de production, observe Laurent Meillaud, journaliste et
consultant spécialisé. Toutefois, une
fois reconvertis du diesel à l'essence, leurs sites feront appel à moins de
main-d'œuvre et de pièces détachées. Ce qui fait peser des menaces sur
l'activité des équipementiers, surtout ceux de rang 2 ou 3. » Pour autant, le
diesel équipera de longues années encore les monospaces, les utilitaires et
autres poids lourds. La bicarburation (essence et gaz) et les biocarburants
devraient aussi prolonger l'espérance de vie du moteur thermique.
Un vrai point de rupture interviendra avec la généralisation de la
voiture électrique. Si elle ne totalise que 1,2 % des immatriculations en
2017, la progression est à deux chiffres et les constructeurs anticipent son
décollage. Renault vient d'annoncer qu'il investirait plus de 1 milliard d'euros
en France d'ici à 2022 pour le développement et la production de véhicules
électriques. PSA a créé, lui, une coentreprise avec le groupe japonais Nidec
Leroy-Somer pour la conception et la fabrication de moteurs électriques dans
l'Hexagone. « Toute la question
est de savoir quelle sera la place de l'électrique en 2020 ou 2030, s'interroge Laurent Meillaud. Bien
malin qui peut le dire. » Il ne faudrait pas, selon lui, surestimer le phénomène. « Les vendeurs ne savent pas vendre
l'électrique ou ne veulent pas le faire et le réseau manque de bornes de
rechargement rapide. »
Transformation digitale à la carte
En attendant, l'expert estime que les constructeurs disposeront, à
l'avenir, de lignes de production suffisamment flexibles pour fabriquer à
partir d'une même silhouette des versions essence, hybride légère ou
électrique. Ils devraient être aidés en cela par l'apport des nouvelles
technologies. Robotique, fabrication additive, Internet des objets... le
numérique a déjà envahi leurs usines. Les constructeurs automobiles sont même
exemplaires en matière d'usine du futur ou d'industrie 4.0. Les équipementiers ne sont pas en reste, à l'image de Faurecia. Sur les
300 sites du groupe français, près d'un tiers est impliqué dans cette transformation
digitale. Faurecia fait notamment appel aux véhicules autonomes intelligents (AVG,
Automatic Guided Vehicles), aux robots collaboratifs (« cobots ») et
au système de gestion des processus industriels (MES, Manufacturing Execution
System). « Le déploiement de ces
briques technologiques se fait au cas par cas, en fonction du degré de maturité
des usines, explique Laurent Vannimenus, Group Coordinator for digital
enterprise operations. Dans les pays où
le coût de main-d'œuvre est élevé, on ira plus loin, par exemple, dans
l'automatisation des tâches répétitives et pénibles pour soulager les
opérateurs. »
« Les vendeurs ne savent pas vendre l'électrique ou ne veulent pas le faire et le réseau manque de bornes de rechargement rapide. »
Laurent Meillaud - journaliste expert des technologies automobiles
Pour lui, le constat est clair. « Un
équipementier qui ne ferait pas sa mue numérique serait rapidement pénalisé.
Tous les acteurs ont accès aux mêmes technologies, au même panel de solutions,
la différence se fait sur les choix opérés et la capacité à les
intégrer. » Parmi les technologies porteuses identifiées par Faurecia,
on trouve l'intelligence artificielle pour détecter automatiquement des défauts
d'aspect, les réseaux bas débit dédiés aux objets connectés de type LoRa pour
la logistique et la blockchain pour la gestion des programmes.
« Le choix d'une voiture devient une expérience sociale à part entière. Sur les réseaux sociaux, le futur propriétaire recueille l'avis de sa famille, de ses amis, de ses collègues »
Gilles Maillet - responsable du secteur automobile chez Facebook
En 2013, BMW a ainsi introduit dans son réseau en France des « product
genius ». Complémentaires des vendeurs, ces experts produits accueillent
les clients, les renseignent sans pression commerciale. Les concessions BMW et
Mini en comptent aujourd'hui 140. Directeur du département Développement
réseau et qualité de BMW Group, Alexandre Leclercq ne voit pas le digital
comme une concurrence au réseau physique. « Il faut jouer sur la complémentarité et être présent à chaque étape du
parcours. En amont, dans l'information au client par le digital ; en
concession, en apportant une plus-value, puis en aval par la mise à disposition
des clients d'applications mobiles ou de services connectés dans la voiture
pour prolonger le service. »
« Nous ne voyons pas le digital comme une concurrence avec notre réseau physique. Il faut jouer sur la complémentarité. »
Alexandre Leclercq - directeur du département Développement réseau et qualité de BMW Group
La volonté des marques automobiles de se positionner comme des acteurs
de mobilité au sens large, avec le développement de l'autopartage et du
covoiturage, conduira aussi leurs réseaux de distribution à proposer de nouveaux services au-delà du triptyque
financement-assurance- entretien. « Le réseau de BMW en
France comprend 150 concessionnaires. Ils ont toute leur place dans le futur de
BMW à condition de se réinventer, poursuit
Alexandre Leclercq. Nos concessions étant
toutes équipées de bornes électriques, elles pourraient devenir demain des
sites de recharge, mais aussi des lieux de dépose et d'échange de voitures en
autopartage, tout en proposant des services additionnels comme le lavage et
l'entretien. » A noter que le Conseil national des professions de l'automobile (CNPA) a
lancé une vaste étude de prospective sur l'impact des différentes
transformations évoquées dans cette enquête sur les acteurs de la filière.
« Nous allons élaborer trois types de scénarios – réaliste, médian,
extrême –, en intégrant ou non une crise économique, avec ou sans intervention
des pouvoirs publics », détaille Vincent Durand, directeur du pôle Commerce
et Distribution du CNPA. Très attendus, les résultats seront rendus publics
début octobre pour le Mondial de l'Auto.
L'essor du véhicule électrique
L'essor du véhicule électrique
Les voitures électriques totalisent 1,2% des immatriculations de véhicules neufs en France 2017, en progression de 13 %. Source : Avere France, Association nationale pour le développement de la mobilité électrique.
Les voitures électriques totalisent 1,2% des immatriculations de véhicules neufs en France 2017, en progression de 13 %. Source : Avere France, Association nationale pour le développement de la mobilité électrique.
Les changements de comportements du consommateur
Les changements de comportements du consommateur
Avec l'essor de l'autopartage et du covoiturage, près d’un Européen sur deux imagine que demain la voiture sera un bien partagé. Source : L’Observatoire Cetelem.
Avec l'essor de l'autopartage et du covoiturage, près d’un Européen sur deux imagine que demain la voiture sera un bien partagé.Source : L’Observatoire Cetelem.
L'avènement de la voiture autonome
L'avènement de la voiture autonome
2020 devrait être l'année du lancement commercial des fonctions de conduite autonome en France selon les annonces de Renault et du groupe PSA Source : Renault, PSA.
2020 devrait être l’année du lancement commercial de la voiture autonome en France selon les annonces de Renault et du groupe PSA. Source : Renault, PSA.
Quelles sont les transformations à l'œuvre dans l'industrie automobile ?
Jean-François Belorgey
associé EY
Ces
transformations sont multiples et de nature variée. Elles impactent toute la
chaîne de valeur. Cela commence par la conception même du véhicule, avec la
montée en puissance des motorisations alternatives. Avec la
voiture connectée, et plus encore avec la voiture autonome, le logiciel prend,
par ailleurs, une place prépondérante. Or, s'il y a déjà plus de lignes de code
dans une automobile que dans un avion, les constructeurs automobiles ne sont
pas des spécialistes du numérique. Ils se retrouvent face à un risque, contre
lequel toute la filière est tendue, de se voir marginaliser par ceux qui maîtrisent
ce logiciel, au premier rang desquels les GAFA. Un label « Apple inside »
ou « Google inside » peut-il faire la différence ? Dans le
domaine de la fabrication, l'industrie automobile n'a pas attendu le concept d'industrie 4.0
pour multiplier les robots. Avec l'usine du futur, on passe seulement à un
stade supérieur dans l'automatisation. À l'avenir, des machines intelligentes
devraient toutefois se contrôler toutes seules, s'autoréparer... De
plus, un moteur électrique étant plus simple à fabriquer, les constructeurs
automobiles pourraient se retrouver avec des usines en sureffectif. Les
difficultés que rencontre Tesla montrent toutefois qu'un nouvel acteur ne peut
accomplir du jour au lendemain ce que les constructeurs ont mis des décennies à
maîtriser. C'est-à-dire fabriquer de la haute qualité à très grande échelle et
à forte cadence, en assemblant des composants venus du monde entier. Enfin,
les réseaux de distribution sont impactés par la révolution en cours. La volonté des constructeurs automobiles de se positionner
comme des acteurs de mobilité interroge sur le rôle du concessionnaire. Avec
le développement du covoiturage et de l'autopartage, le particulier ne
s'adressera-t-il pas demain à des gestionnaires de flottes ? Les métiers
de la vente sont déjà en transformation profonde, avec un nombre de visites au
show-room qui a été divisé par deux en quelques années.
Quel sera le rôle du concessionnaire demain ?
Pascal Rueff
associé EY Consulting
Les réseaux de distribution souffrent eux aussi d'une désaffectation de
leurs show-rooms. Les clients passent de moins en moins en concession,
s'informant largement sur le Web et les réseaux sociaux. Se pose alors la
question de l'utilité d'un réseau qui servait jusqu'à présent à nouer des
contacts et à vendre ? La plupart des constructeurs jurent qu'ils n'iront
pas sur la vente en ligne pour ne pas court-circuiter leur réseau de distribution,
mais tous y pensent. Seules les nouvelles marques peuvent se permettre de le
faire. De manière plus générale, le rôle du concessionnaire est appelé à
évoluer. Il ne peut se contenter d'être seulement un livreur de voitures neuves
et doit apporter des services en phase avec les nouvelles attentes. Un réseau
qui dispose d'une densité suffisante sur le territoire pourrait, par exemple,
se positionner sur le marché de l'autopartage. Un particulier emprunte un
véhicule dans une concession et le laisse dans une autre située 500 km
plus loin. Plus généralement, un distributeur peut
devenir un hub de mobilité, pourquoi pas intermodal. En devenant gestionnaire de flotte, un réseau pourra proposer des
services à la carte. Un client a acheté une petite voiture pour ses
déplacements quotidiens, mais a besoin d'un modèle familial dix fois par an,
pour les vacances et les week-ends prolongés. Ce service pourrait être financé
au moment de l'achat. Le développement de l'autopartage est d'autant plus
évident qu'avec le « dieselgate », l'arrivée de l'électrique et le
changement des modes de consommation, les réseaux risquent de se retrouver avec
un parc conséquent de voitures d'occasion en stock. Les entreprises seront, elles, sensibles aux offres de maintenance
prédictive et de pilotage de leur flotte de véhicules par la donnée. Elles sont
demandeuses d'un accompagnement personnalisé. Comment, par exemple, faire
évoluer mon parc vers l'électrique ? Enfin, pour maintenir l'activité de
leurs concessionnaires, plusieurs constructeurs se sont déjà lancés dans la
création de plateformes globales de réparation multimarques ouvertes aux
garages indépendants. À côté des pièces détachées de la marque, elles proposent
des pièces moins chères pour les voitures qui ne sont plus sous garantie.
Que peut apporter le concept d'usine du futur ?
Philippe Berteaux
associé EY
À mes yeux, l'usine du futur est davantage vécue par l'industrie
automobile comme une évolution que comme une révolution. Ce secteur d'activité
a toujours été « cost focus » et la recherche de l'efficacité est dans son ADN. Rappelons que le « lean manufacturing » est né en
son sein. Les nouvelles technologies vont, bien sûr, apporter des bénéfices,
mais plus dans un processus d'amélioration continue. Les « cobots »,
en interaction avec l'homme, sont déjà présents sur les lignes de production
depuis quelques années. Au-delà du rang 1, les équipementiers pourraient
être plus impactés. La montée en puissance des motorisations alternatives concerne, elle,
tous les acteurs. Apparu il y a quelques années avec le « dieselgate », le
phénomène s'accélère. Le « diesel bashing », les décisions prises au
niveau des États pour réduire les émissions de particules ainsi que la prise de
conscience écologique des particuliers favorisent les énergies alternatives et
notamment l'hybride et l'électrique. Si l'électrique ne représente que de 1 à 2 %
des ventes, la progression est forte. Face à cette nouvelle donne, les constructeurs doivent adapter leur
outil industriel, longtemps calibré pour produire des moteurs traditionnels
avec une forte dominante diesel, notamment en Europe. Les constructeurs
semblent avoir une certaine flexibilité de leurs lignes leur permettant de les
faire évoluer du diesel vers l'essence. En revanche, le passage à l'électrique
aura potentiellement des conséquences industrielles et sociales plus lourdes. En soi, l'électrique n'est pas un produit miracle. Il pose des problèmes
environnementaux d'une autre nature. Quand les volumes augmenteront fortement,
il faudra se poser la question du bilan carbone complet, depuis la construction
du véhicule et de sa batterie jusqu'à leur recyclage, en passant par le
développement des infrastructures – et pas seulement de l'émission du véhicule.
Vos données personnelles sont uniquement utilisées pour vous envoyer la newsletter EY « La question de
la semaine ». Vous pouvez à tout moment vous désinscrire en utilisant le moyen de désabonnement indiqué
dans la newsletter. Pour en savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits, veuillez consulter lesconditions générales d’utilisation du Site.