« Être précurseur dans le traitement de la NASH nous confère une responsabilité plus globale »
Propos recueillis par la rédaction de Questions de transformation- 23 juillet 2019
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Genfit est une entreprise française de biotechnologie spécialisée dans les maladies métaboliques et leurs conséquences sur le foie. Elle compte parmi les leaders mondiaux dans la mise au point d'un traitement contre la NASH, acronyme anglais de la stéatohépatite non alcoolique, une pathologie liée à l'obésité, qui ne compte actuellement aucun traitement. Pour lutter contre ce qui s'annonce comme un fléau mondial de santé publique, la biotech a opté pour une approche holistique, qui inclut le développement d'un traitement, un outil de diagnostic et un volet sur l'éducation et la prévention.
Genfit développe un traitement pour lutter contre la NASH, la « maladie du foie gras ». Comment s'exprime cette pathologie liée aux modes de vie modernes ?
Jean-François
Mouney – Des
désordres métaboliques du foie se développent chez des patients qui se
nourrissent de manière excessive, sont trop sédentaires et ne font pas assez
d'exercice. Ils développent un surpoids, une obésité, et notamment une forme
d'obésité assez spécifique, appelée obésité centrale ou abdominale, pas
forcément massive, qui se caractérise par l'indice de masse corporelle et, plus
encore, par l'augmentation du tour de taille. Ces situations ont d'importantes
conséquences, notamment en termes d'accroissement des risques cardiovasculaires,
de prédiabète et de diabète. En parallèle, on voit s'installer un phénomène
longtemps ignoré et asymptomatique, mais directement proportionnel à cette
épidémie d'obésité : la
« stéatohépatite
non alcoolique » ou « NASH », selon son acronyme
anglais. Il s'agit de la forme grave de la « maladie du foie gras »,
provoquée par une invasion massive de lipides dans le foie. Environ 30 %
de la population a du foie gras et 10 % développent la NASH. Pour les
formes moins avancées, des actions radicales sur le mode de vie permettent de
revenir en arrière. Comme 80 % de la population n'est pas capable de se
prendre en main – ni seule ni accompagnée – pour mener ces actions, ces
personnes devront prendre des médicaments. Pour un tiers des patients atteints
de NASH, les diagnostics sont réalisés à un état tellement avancé de la maladie
qu'il faut les traiter de toute urgence car une forte proportion d'entre eux va
évoluer vers une cirrhose ou un cancer du foie.
De quel ordre sont les enjeux de santé publique ?
J.-F. M. – Un nombre
extraordinaire de gens va être atteint de la NASH ou l'est déjà. En termes
d'enjeux de santé publique, on se rapproche des chiffres du diabète dans le
monde ! Les phénomènes de surpoids et d'obésité touchent 40 à 50 % de
la population aux États-Unis et beaucoup de pays européens dans les mêmes
proportions. La fameuse exception française commence à disparaître... Ils gagnent
aussi les pays à forte croissance, notamment la Chine ou l'Inde, où se
développe une classe moyenne qui adopte des styles de vie occidentaux. Les migrations
de population et les changements rapides de modes de vie amènent non seulement des
taux d'obésité sensiblement identiques à ceux des pays développés, mais
provoquent aussi des mutations épigénétiques qui accélèrent les problèmes. Depuis
2013-2014, ce fléau est donc devenu une priorité pour les grandes agences
sanitaires, comme la Food and Drug Administration aux États-Unis ou l'Agence Européenne
des Médicaments. Elles ont décidé de permettre aux entreprises qui travaillent
dans ce domaine d'avoir des processus accélérés de mise sur le marché des
produits, dès lors qu'ils ont fait preuve de leur totale efficacité et de la
meilleure innocuité possible. Notre composé le plus avancé dans la NASH, elafibranor,
est entré en « phase 3 » de son développement, ce qui correspond
à la dernière phase avant l'enregistrement du médicament.
En quoi est-il essentiel de sensibiliser aussi le corps médical ?
J.-F. M. – Comme cette
maladie est silencieuse, on peut arriver sans s'en rendre compte à des stades
très préoccupants. Aujourd'hui, pour détecter la NASH, il n'y a qu'une solution,
la biopsie du foie, un examen très inconfortable pour le patient et pour lequel
on manque de praticiens. Aux États-Unis, si tous les médecins spécialistes de
ce domaine passaient leur temps à faire des biopsies hépatiques, ils ne
pourraient diagnostiquer que moins de 10 % des patients souffrant d'une
NASH sévère. Il y a un enjeu d'éducation de santé pour sensibiliser le grand
public, mais aussi pour permettre aux médecins de détecter au plus vite les
patients susceptibles de souffrir de cette maladie. Pour l'instant, ils orientent
ces patients vers un hépatologue qui n'a, en l'état, aucun traitement homologué
à prescrire et hésitera donc à leur proposer une biopsie. La connaissance de la
maladie est un enjeu d'autant plus important qu'à l'avenir, ce ne seront plus
les hépatologues qui prescriront le plus les médicaments pour la NASH, mais les
diabétologues, les endocrinologues et les médecins de ville.
En quoi cet engagement autour de la NASH est-il révélateur du modèle stratégique de Genfit ?
J.-F. M. – Nous ne
sommes pas seulement une entreprise de R&D, mais un acteur qui veut avoir une
approche globale de la NASH et entend jouer un rôle majeur dans ce domaine. Si
la phase 3 du développement de notre médicament est réussie, nous serons parmi
les premiers à présenter un traitement aux médecins et aux patients. Cet
engagement nous confère une responsabilité qui va bien au-delà de la vente de
notre médicament, même si elle n'est pas complètement gratuite. Parallèlement
au développement de l'elafibranor, nous nous sommes aussi lancés dans la mise
au point d'un outil de diagnostic de la NASH, basé sur un algorithme protégé et
quatre marqueurs sanguins, qui devrait pouvoir très prochainement remplacer la
biopsie et justifier la prescription d'un traitement. Il commence d'ailleurs
déjà à être déployé auprès des grands acteurs de la recherche clinique via
notre partenaire LabCorp. On espère le voir définitivement adopté au niveau
international par les agences d'ici 2020-2021, en même temps que la mise sur le
marché de notre médicament. Dès 2018, Genfit avait aussi initié la première
journée internationale de la NASH, qui associe désormais de nombreux acteurs –
au premier rang desquels figurent les associations de patients – et mène avec
eux des actions partout dans le monde. Sur le volet de la prévention, notre
fondation The NASH Education Program monte des projets d'amélioration de la
santé et de la nutrition pour éviter que des gens qui n'ont pas encore besoin
de médicaments soient un jour obligés d'en prendre. Elle a créé beaucoup de matériels
ludiques, mais aussi des vidéos éducatives de grande qualité et sous-titrées en
7 ou 8 langues... Nous sommes désormais en train de développer des alliances avec
des sociétés spécialisées dans la nutrition ou dans la production d'aliments
santé.
En quoi votre modèle traduit-il aussi la transformation de l'industrie pharmaceutique ?
J.-F. M. – La recherche,
qui a été longtemps basée sur la chimie, a changé de paradigme sous l'impulsion
des entreprises de biotechnologie. Ces petites sociétés agiles ont développé un
véritable savoir-faire dans les mécanismes d'action biologiques, pour
comprendre les dysfonctionnements à l'origine des maladies. En 2018, 2 produits
sur 3 mis sur le marché aux États-Unis ont été développés par des entreprises
de petite taille issues de la biotechnologie. Il y a 20 ans, c'était 3
produits sur 100 ! Les grands laboratoires de pharmacie n'ont pas tous
opéré cette évolution et se sont rendu compte qu'ils ne parvenaient souvent pas
à concurrencer la R&D des biotech. En revanche, la pharma est plus efficace
dans sa façon de finaliser le développement des produits, de les lancer sur le
marché, de les faire connaître, de les distribuer... Les grands du secteur ont
donc compris que leur intérêt était d'attendre que les biotech avancent
suffisamment dans la mise au point des produits avant de chercher à les
acquérir en fin de phase 2 ou en phase 3 du développement, ou de
payer des licences très fortes pour acquérir leurs programmes. Les partenariats
entre ces deux univers sont devenus plus naturels, mais plus tardifs. Comme les
biotechs vont de plus en plus loin dans leurs développements, elles doivent
aussi mener une politique de levée de fonds très intense et créer beaucoup de
valeur en interne avant de pouvoir céder les produits dans de bonnes conditions.
Comment garder son autonomie par rapport aux grands groupes pharmaceutiques quand on travaille sur un marché aussi prometteur ?
J.-F. M. – Si la mise
sur le marché de notre médicament se poursuit de manière favorable, la
probabilité qu'on reçoive une offre de rachat par une pharma est en effet très
élevée. Genfit a néanmoins les fonds nécessaires pour poursuivre ses développements
de manière autonome. Comme nous sommes l'un des acteurs les plus pointus du
marché, nous sommes aussi les plus à même de préparer le lancement des produits
dans la NASH et avons tout intérêt à continuer à créer de la valeur ! En
revanche il est bien évident que Genfit ne sera pas hostile à un partenariat de
grande qualité ou à un rachat dans des conditions optimales pour ses
actionnaires.
Selon quel modèle comptez-vous commercialiser vos produits et avec quelles ambitions à l'international ?
J.-F. M. – Nos ambitions
à l'international sont naturelles car notre marché est mondial. Nous envisageons
de conserver la maîtrise des ventes sur certains territoires européens, sans
doute faire de la co-commercialisation aux États-Unis et céder des licences
pour le reste du monde. C'est d'ailleurs le sens de l'accord de licence conclu
en juin avec la société américano-chinoise Terns Pharmaceuticals, pour le
développement et la commercialisation en Chine de notre futur médicament. Cet
accord a été l'un des plus gros investissements payé dans l'histoire des partenariats
signés pour la Chine élargie et pour un seul médicament. Une entreprise comme
la nôtre n'a de valeur que si elle se projette comme un acteur pharmaceutique
vis-à-vis du marché. Alors que ce marché n'existe pas encore, on prépositionne
notre produit vis-à-vis des payeurs, des prescripteurs et du public. Les
discussions portent d'ores et déjà sur le type de patients qu'il va falloir
soigner ou la manière d'organiser le parcours du patient.
Quel type de relations développe-t-on avec les investisseurs quand les processus de développement sont aussi longs ?
J.-F. M. – Dans une
entreprise privée et « early stage », les investisseurs doivent en
effet faire preuve d'une bonne connaissance du secteur et de patience, parfois pendant
près de 15 ans... Et quand on est uniquement financé par une société de VC (Venture
Capital), il est parfois difficile de faire des tours de table supplémentaires avec
des investisseurs qui estiment avoir assez donné. Genfit n'a jamais été dans cette
situation car nous sommes entrés en Bourse sur Euronext en 2006 puis au Nasdaq
à New York en mars 2019. Un investisseur est toujours en mesure de récupérer
ses fonds, selon la liquidité de l'entreprise. Quand on devient une entreprise
florissante, on peut avoir, sur un marché public, une variété d'investisseurs qui
vous rejoignent à des moments différents de votre histoire. Cela permet de saisir
plus d'opportunités, de lever davantage d'argent et d'offrir à ces
investisseurs de multiples opportunités de plus-value qui les satisfont
amplement.
Quel regard vos interlocuteurs internationaux portent-ils sur une biotech française comme Genfit ?
J.-F. M. – Nos
interlocuteurs se soucient peu du fait que Genfit soit française ou pas. Pour
le reste du monde, nous sommes surtout Européens. Ce qui est important, c'est
qu'on puisse nous faire confiance. On a toujours fait ce que l'on avait dit
qu'on allait faire et, pour l'instant, presque gagné chaque bataille... Il faut
aussi avoir confiance dans l'équipe et dans les nouveaux talents qui nous
rejoignent. Depuis sa création, il y a 20 ans, l'entreprise a beaucoup évolué.
Il y a 15 ans, j'avais besoin de talents dans la recherche, et aujourd'hui,
davantage dans le domaine médical, de la recherche clinique, et surtout sur le
plan commercial ou réglementaire Nous sommes déjà très implantés à
l'international. Pour percer aux États-Unis, il faut quand même avoir une
présence marquée dans le pays avec beaucoup d'Américains à bord. On recrute de
plus en plus de talents venant de la grande pharma américaine. Je suis d'ailleurs
en train de rééquilibrer, voire de privilégier notre présence aux États-Unis.